#3 Rencontre avec Amandine Gay : Exhibit B, la dissonance cognitive

Partie 1

Partie 2

Comédienne, réalisatrice, pigiste… J’ai rencontré Amandine Gay, réalisatrice afroféministe du documentaire Ouvrir la Voix, afin de savoir ce qui l’a conduit à faire ce documentaire sur les femmes noires de France. De son parcours jusqu’aux anecdotes de tournage, elle nous en dit plus sur elle et son cheminement. En attendant la table ronde organisée le 23 février à Paris , un entretien sera posté chaque jour jusqu’à Samedi !

Enjoy !

Sur Exhibit B : 1, 2

Beautés noires – 2 : Misogynoir intracommunautaire, un corps corrompu

2. Misogynoir intracommunautaire

[TW: Spoiler, violence domestique, viol]

Dans le magnifique roman Couleur Pourpre, Alice Walker (afroféministe de renom, à l’origine du concept womanism) raconte l’histoire déchirante de deux soeurs, Celie et Nettie, vivant avec leur père veuf. Un jour, un homme se présente à leur père, demandant la main de Nettie, plus jeune et plus jolie que sa soeur. Mais le père des deux filles, soucieux de placer d’abord son aînée qu’il trouve laide, Celie, décide de la lui proposer à la place. Amer, Albert le prétendant accepte et la marie. S’en suit alors une vie de tourmentes où Celie doit servir son mari et ses six enfants tyranniques, soumise à ses coups quand l’envie lui prend. Quand Nettie apparaît un jour à leur porte, fuyant leur maison familial à cause des attouchements de leur père, le mari de Celie voit une nouvelle opportunité d’avoir la soeur qu’il désirait, et accepte qu’elle loge avec Celie et sa famille. Mais quand Nettie refuse les avances de l’homme, il décide d’interdire les deux soeurs de se revoir, les forçant à se séparer :

Couleur Pourpre est une oeuvre très riche dont chaque femme du livre pourrait être citée, tant les sujets de la femme noire sont multiples. Ce qui nous intéresse ici est le rapport d’Albert à Celie qui, à défaut d’avoir pu faire sa vie avec Shug, une chanteuse claire de peau et aux traits fins, déverse sa frustration sur la jeune femme pendant des années. Animés donc de cette attirance pour les modèles de beauté établis, les hommes noirs ne sont pas en reste dans cette manière de perpétuer le mythe de la laideur des femmes noires. Par un dénigrement du physique des femmes foncées, il y a également le prolongement de cette laideur en une culpabilité : ainsi la femme noire serait plus belle si elle faisait “assez d’efforts” pour reprendre les codes (cheveux lisses, peau claire, etc) des femmes blanches, sa beauté naturelle serait par défaut une preuve de négligence et justifierait le manque de respect des hommes noirs à son égard. Ce discours est propre à la misogynoir intracommunautaire.

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Cellie et Shug, la femme qu’Albert convoitait auparavant. Shug apprendra à Cellie a s’accepter et à renouer avec sa soeur.

La misogynoir est le terme pour qualifier une misogynie spécifique visant les femmes noires, et produite par les hommes en général – indépendamment de leur couleur de peau, donc. Le cas intracommunautaire est important, dans le sens où nous serions tentés d’imaginer que le(s) beauté(s) noire(s) seraient plus encensées par les hommes noirs : c’est une idée fausse. Les communautés afros n’échappent pas aux diktats de beauté de la suprématie blanche, et les perpétuent avec le colorisme, et d’autres injonctions portant sur le corps de la femme noire. C’est ce que Trudy, l’afroféministe et auteure de Gradient Lair, explique ici :

Misogynoir intraracially is proliferated with colourism, fat shaming, classism, ableism, homophobia, transmisogyny (i.e. when Laverne Cox is street harassed and asked is she “a nigga” [transmisogyny in a Black cultural context] or “a bitch” [misogynoir in a Black cultural context] literally no one else on Earth but a Black trans woman would experience that; period) and other oppressions.

La misogynoir est donc une extension intracommunautaire d’une misogynoir généralisée dans notre société. Les normes patriarcales qui la sous-tendent dépendent évidemment du contexte où elle s’effectue : par exemple, dans certains pays africains, des femmes minces et avec des formes peu marquées subissent un body shaming spécifique car elles ne correspondent pas au modèle de la femme noire avec des rondeurs. Le schéma a beau être différent donc, le corps de la femme noire reste soumis à des modèles de beauté dominants, régis par des normes patriarcales.

En conséquence, la participation des hommes noirs au maintien de ce dénigrement raciste et sexiste s’explique, non seulement par un racisme intériorisé, mais aussi par leur privilège masculin qui prime sur la condition féminine des femmes noires. C’est ce qui leur permet de bénéficier des normes patriarcales et d’exercer leur domination dans une sphère intracommunautaire, comme le développe Trudy :

“because of how cis, heterosexual, and male privilege function, cishet Black men have privilege over Black women and can reward/punish through patriarchal norms and violence, even as Black men face other oppressions (including racism that Black women also face). This can be seen in intraracial spaces that Black men are expected to dominate and control, such as the home, the Black Church, community organizations (who organizes versus who is seen/lead), Black cultural production (i.e. hip hop, comedy, film), the budding business of “relationship advice” as a secular space of Black male domination in the way the Church is, and public social space (i.e. street harassment) in communities.”

Ainsi, la frustration d’Albert déversée sur Celie est emblématique d’une domination masculine sur le corps de la femme noire. Le corps noir, élément commun, ne suffit donc pas à rassembler les personnes noires et à pallier une violence et une stigmatisation extérieures, car il est soumis à l’oppression sexiste en son sein (en plus d’une oppression raciste que nous avions développé dans la première partie).

Pire encore, l’emprisonnement du corps noir dans un système raciste et sexiste est tel qu’il a donné lieu à deux mythes destructeurs aux USA, comme le décrit Angela Davis :

  • Le mythe du violeur noir : d’une part, les hommes noirs étaient connotés comme une constante menace pour les femmes blanches. Hypersexualisés de manière agressive, ce mythe a provoqué des lynchages massifs d’hommes afro-américains pour justifier le système raciste aux Etats-Unis.
  • Le mythe de la mauvaise noire : de l’autre, les viols punitifs ou autres, subis par les femmes noires à cause des hommes blancs ont participé à la stigmatisation de la femme noire comme étant un être honteux, méritant d’être dénigré. On peut citer aisément le traitement de l’affaire DSK.

Ces deux mythes sont amèrement décrits comme jumeaux, c’est à dire qu’ils fonctionnent et se maintiennent l’un et l’autre au sein d’une même société oppressive :

“The myth of the black rapist of white women is the twin of the myth of bad black woman – both designed to apologize for and facilitate the continued exploitation of black men and women. Black women perceived this connection very clearly and were early in the forefront of the fight against lynching”

L’image d’Albert séparant Celie de sa soeur, soit la seule personne qui la rassurait et la poussait à s’accepter est le premier chapitre d’une longue vie où Celie va tenter de s’affirmer par d’autres regards que celui de son mari, afin de s’émanciper.

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Le passage haletant où Cellie brise le silence et brandit le couteau après des années à subir sa misogynie destructrice.

 

S’émanciper à la fois des diktats occidentaux et blancs et à la fois de la domination masculine, voilà le joug auquel est soumise la construction d’une beauté noire et de l’identité de ces femmes. Face à ces oppressions entremêlées, la sororité entre femmes noires apparaît comme le vecteur d’espaces safe, soit des espaces d’empowerment et d’estime de soi pour cette beauté noire si difficilement plurielle dans sa revendication, et évitant l’écueil de remplacer un diktat par un autre… Mais qu’en est-il vraiment ?

 

 

 

[Bookreview] La ballade de Baby : une enfance désenchantée

[Trigger Warning : maltraitance sur enfants, agression sexuelle]

A Montréal, on suit le quotidien précaire de Baby, une jeune fille de 12 ans, rêveuse qui suit, entre fantaisies et journées incertaines, son père junky. En grandissant dans l’ombre de sa mère décédée, Baby appréhende l’adolescence, terrain minée où son corps ne répond plus et où son rapport au monde se mue en quelque chose de douloureusement réel.

Heather O’neil réussit à nous décrire une vie dramatique avec le regard de l’enfance, ; à la fois poétique et incroyablement lucide sur le monde des adultes. On oscille constamment entre une incroyable douceur, et une violence cristallisée.

Personnellement, je reste mitigée par ce filtre de l’enfance, qui rend certains passages incroyablement cru dans ce que le sexe incarne pour elle. C’est à la fois transgressif et dérangeant, de sorte que la dureté de certains évènements semblent au premier abord soupesé, avant que le lecteur ne mesure lui-même l’écart entre ce filtre et la violence réelle.

Je regrette cependant l’essoufflement du roman qui, à force d’être coupée par des longueurs, perd de son intensité, avec une fin peu bâclée.

#BoycottHumanZoo I : le racisme s’invite au musée

 

Après les nombreuses discussions sur le net et les articles éparses et discrets sur le sujet, Po Lomami et moi-même avons décidé de rédiger cet article sur Exhibit B. Ce dernier sera publié en 2 parties : l’une qui va suivre ci-dessous et la seconde, qui sera publiée dans 3 jours sur le site de Po. Malgré les deux plateformes, nous indiquerons bien sûr les liens de chaque partie pour l’unité de cet article, et maintenons que la rédaction de ce dernier s’est fait à quatre mains. Il n’est donc pas question ici de points de vue séparés mais bien d’un malaise et d’une colère commune.
Nous devons l’avouer, il nous a fallu un moment.
Il nous a fallu un long moment, les pas traînants, pour accepter de prendre le temps de nous asseoir, de regarder droit dans les yeux ce qui est en train de nous tomber dessus, de traduire notre colère dans sur ces pages, d’articuler nos différentes optiques, l’une de nous évoluant dans une perspective vegan et antispéciste,  et faire face à la promotion de cette nouvelle “oeuvre”, beaucoup de temps pour réaliser qu’aujourd’hui, en 2014, on nous demande de prendre place comme spectateur pour regarder une personne noire, comme nous, derrière une cage, au nom de l’Art. Il nous a fallu aussi du temps pour comprendre que tout cela était réel. C’est-à-dire que, de tous les spectacles, performances, scènes, films que nous avons vus, de tous ces champs publics dont nous étions bien absents et effacés, nous ne nous attendions pas à ce que l’Art se penche sur notre cas pour aller aussi loin. On était déjà bien habituées à la mise en avant de notre capital exotique sur lequel beaucoup d’institutions muséales se reposent. Tout au plus, on commençait à s’habituer à ce que la “Vénus  Hottentote” demeure cette douleur sans nom, femme que l’on nomme comme exemple de l’animalisation du corps noir jusqu’à la dissection de ses organes génitaux, mais dont la barbarie de son sort ne pointe pas les auteurs.
Oui, à la limite, dans une fresque toujours tronquée, à la représentativité caricaturale et bancale, on ne s’attendait pas à voir un jour la promotion d’une oeuvre telle que celle de Brett Bailey :
“Des femmes en cage, des hommes enchaînés. Voici quelques-uns des tableaux vivants qui seront présentés dans l’exposition Exhibit B à l’espace 104 à Paris du 7 au 14 décembre 2014. L’artiste sud-africain Brett Bailey a choisi pour thème notre passé colonial”
“Notre passé colonial”. Un “notre” bien hypocrite quand il s’articule uniquement sur la servitude des corps noirs pour une exposition au musée. Voilà donc plusieurs jours que cette exposition est questionnée sur son racisme. A peine daigne-t-on soulever l’annulation de cette même exposition outre-manche, il nous revient d’anticiper les cris à la censure et à la liberté d’expression ; soit une liberté qui se complaît dans le dénigrement et le rabaissement des mêmes minorités ethniques dans l’espace médiatique.
Ainsi, l’Art serait une raison suffisante, une terre assez sainte et sacrée pour échapper à ce qui imprègne toute une société. Il serait le terrain neutre des rapports de force dans une société occidentale profondément marquée par son refus d’entendre parler de la race, préférant voir un antiracisme sans queue ni tête dans le fait de ne pas prononcer le mot “noir” et de “ne pas voir les couleurs des autres“. Ce perpétuel effacement d’enjeux sociaux liés à la race a de lourdes conséquences.
C’est ce qui permet aujourd’hui d’entendre des personnes s’accorder sur la connotation raciale des corps noirs dans cette oeuvre et qui  refusent en même temps d’inclure la couleur de l’artiste dans l’équation.  Aujourd’hui encore, le blanc est une couleur que l’on ne peut nommer.
C’est ce qui permet aujourd’hui aux défenseurs de cette oeuvre de soutenir qu’il y a dénonciation du racisme, alors qu’ils nient ce qu’en pensent les premières victimes : les diasporas noires, donc.

 

1) “Parlons de racisme mais pas de races”

Donc, résumons : un artiste sud-africain blanc a décidé de reproduire un zoo colonial avec des personnes noires, à la manière des zoos coloniaux qui ont pris place durant la colonisation et expositions universelles, à l’adresse des personnes blanches. On invite donc à payer une vingtaine d’euros pour revivre cette expérience unique, celle de regarder en cage des personnes noires. Si le zoo colonial était problématique dans le passé, quelle est la différence avec celui d’aujourd’hui qui prendra place à Paris en Décembre ? C’est la question que nous nous sommes posées face aux justifications bancales qui nous ont été dites :
  1. “le zoo colonial de Brett Bailey dénonce”: la reproduction fidèle d’un zoo humain tiendrait en lui-même de la dénonciation, mais comment ? En exposant uniquement des corps noirs enchaînés sans la mise en avant des mécanismes de dominations, tant par l’absence des acteurs (les colons blancs) que par les institutions, on reste dans le fantasme selon lequel notre contexte – une civilisation occidentale, ou du moins, une société française en 2014 – serait assez parlant de lui-même. Eh oui, qui oserait une seconde faire un zoo humain “pour de vrai” en 2014 ?  L’exposition dans un musée préserve ce “pour de vrai“, comme si le musée en tant qu’institution, serait un terrain de fiction, un endroit spécial et indépendant de la xénophobie exercée dans notre société.
    Ce traitement du musée et de l’Art comme un hors-contexte de notre Histoire reprend les mêmes mécanismes que le racisme : soit cette croyance que le passé est détaché et séparé de notre présent. L’artiste compte ainsi sur une sorte de fierté contemporaine, où la société “si évoluée” que nous connaissons aujourd’hui ne serait plus au fait de son racisme, mais, surtout, que le passé colonial est une chose révolue, indépendante de notre présent. Or, le passé colonial, tout comme le racisme, demeure une oppression latente qui trouve ses racines dans le temps et qui est perpétuée. Le refus d’entendre aujourd’hui les réactions des diasporas noires à cette exposition est une énième preuve que le corps noir n’est considéré que dans ce qu’il peut apporter à une narration, dont il n’est pas l’auteur.
    L’exhibition de corps noirs enchaînés, dans une passivité imposée, et ce sans que les colons n’apparaissent, est un choix de narration qui n’est en rien une dénonciation, mais juste le maintien d’une tradition coloniale où on ne laisse jamais le corps noir se dire et se raconter. On l’expose à une fin tacite et nauséabonde : soulager les consciences en flattant l’ego du spectateur qui se dira “c’était pas bien ce qu’ils ont fait dans le passé”, sans se rendre compte qu’il participe lui-même au maintien d’une oppression raciste.
  2. Le corps noir, crash test de l’antiracisme : le corps noir demeure ainsi le crash test de la bonne conscience. “Allons au musée voir comment je réagis face à ces êtres animalisés et en cage !”, le spectateur pourra se flatter de cet après-midi découverte où sa mise en rapport avec un exotisme raciste pourra le gêner, le surprendre, tout au plus le bousculer un peu avant qu’il reprenne son quotidien. Brett Bailey fait du corps noir une performance, comme il en était question déjà à l’époque coloniale, donnant ainsi l’impression que tout le monde a quelque chose à dire sur le sujet. Or, si nous avons tous la possibilité de dire quelque chose sur le racisme, nous n’en sommes pas tous victimes.
  3. Artiste noir ou blanc, quelle différence ? Vouloir dénoncer le racisme à travers une oeuvre quand tout le monde refuse de prendre en compte la couleur de l’artiste, cela montre un peu l’état de l’antiracisme en France : “parlons du racisme sans races !”, comme si le racisme (d’hier ou d’aujourd’hui) ne tenait qu’aux murs du 104, le temps d’une exposition… N’en déplaise aux défenseurs de l’exposition et à l’artiste, mais le racisme n’est pas une question d’intentions. Il repose sur un système de rapports de force entre dominants et dominés, dont les victimes de cette oppression se voient volés leur parole pour justifier tout et n’importe quoi. Personne n’a demandé à Brett Bailey de faire ce zoo humain. Personne n’a demandé à mettre en avant l’animalisation des Noirs pour un besoin de catharsis, ni de devoir de mémoire de la sorte.

2) L’appel à une objectivité choisie

Bien souvent, face à la dénonciation du racisme de l’oeuvre, nous nous sommes heurtées à un implacable appel à l’objectivité. C’est souvent ce qui suit lorsque l’on dénonce une oppression sociale : “vous exagérerez et voyez le racisme partout !”, on traite le racisme ou la xénophobie comme une affaire de sensibilité et de subjectivité trop aiguë, une pratique facile pour rendre illégitime l’expérience et le vécu des victimes de racisme, nous obligeant à perdre énergie pour expliquer que le racisme est raciste. Toujours dans une démarche pédagogique, résumons les trois réponses fréquentes :

  1. Vous n’avez pas encore vu l’exposition !: Certes. Ce n’est pourtant pas la première fois que l’exposition passe en France, mais il faut croire que les réseaux sociaux ont cette bonne faculté à faire remonter à la surface ce qui voudrait passer inaperçu. Le choix est pourtant simple : on peut choisir de payer pour voir par curiosité cette oeuvre et se faire son idée, participant ainsi au divertissement raciste, encourageant l’idée que l’oeuvre tient à une performance de Noirs en cage. Cela justifierait l’exhibition animalisante qu’elle suppose. Mais après tout, les minstrel show où des acteurs blancs mettaient en scène des Noirs pour faire rire leur public attirait les foules, c’était certainement là aussi une question de curiosité ?
    OU on peut choisir d’estimer que le principe du zoo colonial en lui-même est assez déshumanisant, et convenir qu’”Un après-midi dans la peau d’un colon” n’est pas le moyen le plus sain pour réfléchir à son antiracisme.
  2. “Et si c’était un artiste noir ? Et si c’était des hommes blancs ?”:
    … Dans un appel à l’objectivité, nos interlocuteurs estiment que leur subjectivité a une valeur neutre. C’est bien là ce qui ressort quand l’inversion des races des acteurs constituerait un argument, alors que:
    1) Non seulement on évite de parler de race, mais on prend bien garde à ne pas mentionner celle de Brett Bailey ni celle de la majorité du public attendu à cette représentation, ni celle du système dans lequel tout ceci a lieu.
    2) en envisageant ce genre d’hypothèse, on considère le racisme comme une histoire de mélanine trop élevée. Par conséquent, on nie le racisme comme un système reposant sur une animalisation, voire bestialisation historique des personnes noires ( une telle animalisation qui, devons-nous le préciser, n’a jamais concerné les Blancs).
    3) les défenseurs de Brett Bailey prônent l’importance du contexte de l’exposition mais s’adonnent à toutes les hypothèses possibles pour le défendre. Son contexte reste une mise en place d’une représentation par et pour les blanc·he·s pour soit-disant dénoncer le racisme par un procédé raciste. Or, si l’oeuvre n’est pas défendable dans son contexte même, qu’en déduit-on ?… Qu’elle est raciste.
  3. “Liberté d’expression !”: la liberté d’exhiber un imaginaire raciste dans une institution publique primerait sur la déshumanisation des corps noirs qu’encourage cette exposition, parce que « liberté d’expression oblige ». Quand on sait que cette liberté d’expression est l’argument phare de politiques et intellectuels xénophobes, nous peinons encore à comprendre comment nos interlocuteurs peuvent nier une autre liberté que la leur : celle d’autrui, celle de pouvoir vivre et être considéré comme un être humain sans craindre de voir exposer ses semblables dans des cages pour le bien d’une expérience.
  4. “Il s’agit d’un musée ! Rien de raciste à cela !”: si les institutions étaient vierges de toute discrimination, cela n’aurait pas conduit à des abominations comme celles que l’exposition universelle a pu abriter, ni  aux spectacles d’hypnose de femmes dites “hystériques” qui satisfaisaient un public français, lui-même friand de voir l’exhibition de personnes malades aux devants des hôpitaux.
  5. “Il y a des personnes noires qui ont accepté de servir cette exposition !”:
    prendre comme caution les personnes noires qui ont participé à l’oeuvre sans se soucier ni des conditions économiques, ni des plaintes qui ont suivi également la participation de certains travailleurs·euses, c’est juste vouloir soulager une culpabilité blanche dans le vide. Mais allons plus loin avec un petit regard économique.
    Le racisme et le colonialisme ont servi des objectifs économiques, capitalistes, et nous percevons des relents de cela. En effet, posons un œil sur les méthodes de recrutement et de rémunération des travailleurs·euses. Bailey touche son cachet et obtient une notoriété tout en s’accordant une bonne image de dénonciateur du racisme et d’artiste incontournable. De l’autre côté, les figurant·e·s étaient payé·e·s 110€ brut pour 3h de représentation tandis qu’au Théâtre Gérard Philippe ce sera 120€. Rappelons que ces lieux sont financés par l’argent public.

“Ce qui est amusant c’est que le metteur en scène prétend avoir fait ce projet pour dénoncer la permanence des relations violentes entre noirs et blancs (…) Par ailleurs il ne fait aucune politique de respect en terme de rémunération des artistes. Il touche son cachet et continue sa chasse à la notoriété. Au 104, les artistes étaient payés 110€ brut pour 3h de représentation et au TGP ce sera 120€. Là je crois qu’on ne peux pas trouver plus bel exemple d’appropriation culturelle et d’exploitation décomplexée.”lien

 

En d’autres termes, les institutions n’ont jamais empêché le dénigrement et l’animalisation du corps d’autrui.
Elles n’ont jamais préservé le corps des dominés (soit des personnes non-blanches, non-cis, non-hétérosexuelles, non-masculines, non-valides, etc) d’un cirque du voyeurisme, qui a alimenté l’Histoire et justifié des discriminations sur des bases dites scientifiques, psychologiques, historiques ou… artistiques.
La dispense de tolérance accordée à l’Art, à Brett Bailey et à la collaboration des institutions dans la mise en avant de cette oeuvre, est symptomatique du climat xénophobe actuel, en France et en Europe. Espérer que les musées soient des lieux d’instruction tout en pratiquant un laxisme dangereux sur les expositions qui y sont proposées, c’est cautionner le maintien et l’enseignement des discriminations à l’égard des personnes visées. La profonde apathie face à l’exposition d’un être humain nous interroge sur l’état malade de cette société. Si vous jugez tolérable ce genre d’exhibition d’une part de l’humanité, c’est que vous considérez cette humanité comme valant d’être placée sous verre.
Face à cette violence constante, nous nous demandons : quand le racisme vous choquera-t-il ?

 

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Brussels, Belgium in 1958.

Paris, 1907

Ainsi, si après ces quelques mots, la présence du racisme jusque dans un musée vous semble exagérée, demandez-vous surtout jusqu’où le déni ambiant lui a permis de perdurer et de s’infiltrer; demandez-vous à quel point les rouages de cette vieille oppression centenaire s’est infiltrée au point qu’aujourd’hui, cette exposition ne choque personne.

 

Po Lomami et Mrs Roots

 

 

Seconde partie :
#BoycottHumanZoo II : à la culture de notre servitude

 

 Pour aller plus loin :

 

Merci à Evanarchiste pour la relecture. 🙂

Notes 1. Nuits particulières.

  • Encore une fois, la nuit nous est toujours particulière, avec ses nouveaux desseins. Je surprends parfois Mathilde, assise sur le carrelage du petit balcon, fumant dans la nuit des écumes de pensées ou encore est-ce à l’aube que je la surprends, toujours à la même place, étaler du vernis foncé sur les ongles de ses pieds quand le ciel devient lumineux et qu’à l’horizon, la mer berce la côté de son indécente beauté.Les nuits de Mathilde sont silencieuses; mais nous en avons appréciés le goût lorsque, repues d’alcool et de désir, nous sommes revenues de soirées.

    Ce sont dans ces nuits si particulières que l’on peut parler du noir. Je me souviens que c’est dans le noir que Po  m’avait parlé d’elle, que nous avions échangés nos blessures de femmes noires, bestialisées et sexualisées, leur beauté démembrée à perpétuité.

    Les récits de nos corps offraient une version différente : c’était comme pointer du doigt les cicatrices marquantes, quand on ne parlait que des égratignures le jour. Regarde cette peau noire, regarde ce pigment qui justifie que l’on demande les papiers de ma mère, regarde cette mélanine trop élevé qui justifie que l’on déshabille mon père à l’entrée d’un magasin, et ce, pour une baguette de pain
     
     Regarde mon teint, peu plus clair que mon grain de beauté, et pour lequel on me suit, me dénigre, me dévisage, m’efface, m’ignore, me discrimine, me moque, me tait et me tue, aux quatre coins du monde. C’est toujours dans le noir, là où nos peaux se confondent, que l’on raconte ces histoires là, celles où l’on nous perce le flanc parce que notre sang n’est pas assez rouge.
     
    Notes extraites de mon carnet.
     

Réflexion 4:”Tu fais la différence entre un Noir et Blanc ? Tu es pitoyable”

 

J’ai lu ceci lors de mes pérégrinations sur Twitter, alors qu’un Internaute sortait l’artillerie de l’ami caution “J’ai un ami […] et des amies[…] et je m’en fous, on est tous pareils, on est tous humains. ” “Alors quoi, tu fais la différence entre un Noir et un Blanc ? Tu es pitoyable”. Parmi les interlocuteurs, il y avait mon amie, noire en l’occurence.

A l’heure d’un climat xénophobe à  son comble, il y en a encore qui persistent dans un déni du racisme, tout en s’assurant d’avoir bonne conscience. Ici, alors que mon amie soulignait à cet individu ses propos stigmatisants, il a voulu renverser la situation à coup de “Nous sommes tous humains” et à base de colorblind “je ne vois pas les couleurs”. Mais l’ironie est telle qu’il essaye d’inverser les rôles entre lui et ceux qui pourraient dénoncer le racisme.

Encore ce matin, sous un article ayant parlant d’une élite noire, j’ai lu un commentaire qui disait la chose suivante :

“Pourquoi “bravo à eux”? La république est indivisible et j’aime croire qu’ils n’ont pas réussi du fait de leur couleur de peau”.


J’ai dû relire deux ou trois fois le commentaire, perplexe. Être blanc justifie-t-il nécessairement de manquer de lucidité sur les inégalités raciales ? Peut-on être aussi aveugle pour ignorer que la réussite de cette “élite noire” était ponctuée d’un “malgré leur couleur de peau” ?  Que la République et sa devise d‘égalité, fraternité et liberté ne sont pas un patch à l’anti-racisme et aux oppressions diverses ? Faut-il être concerné(e) pour comprendre la campagne “Arrêtez d’être” ?

Si proche de l’absurde , et pourtant le colorblind demeure construit. J’ai essayé de comprendre, d’émettre quelques hypothèses sur ce colorblind qui sous-tend d’autres idéaux visant à nier le racisme.

Le colorblind est le symptôme d’un racisme politiquement correct: celui de surface, de la télé, du buzz. Il est bon de ne pas voir les couleurs, d’inclure les personnes non-blanches dans une transparence telle qu’elle nous mettrait tous à égalité. Un peu comme la logique de l’uniforme, un regard qui ne verrait pas les couleurs de son entourage permettrait “de les voir pour ce qu’ils sont“. En ce sens, il y aurait une distinction entre la couleur de peau et leur identité, leur personnalité :. La couleur serait donc le facteur dérangeant, dont l’effacement serait nécessaire pour être tolérant.

Ce colorblind alimente ce même idéal d’ère post-raciale. Par exemple, lorsque j’ai tapé “colorblind” dans le moteur de recherche de Tumblr, je suis tombée sur une succession de couples métisses. Il y a cet idéal vaporeux qui persiste à croire que la solution au racisme est dans l’effacement de chacun. Le colorblind serait donc cette faculté à accepter et tolérer ce que l’on ne voit pas. Intéressant, comme concept.

D’où vient ce mythe de la transparence ? Indubitablement,  je tends à penser que le colorblind suit la logique de la blanchité : c’est à dire qu’être blanc est une norme, une valeur dominante que l’on nous a appris à élire comme couleur de peau neutre. On le voit notamment dans la presse avec la précision ethnique quand il s’agit d’un non-blanc, au point qu’un “d’origine noire” soit tombée le mois dernier. Le colorblind, ce serait donc effacer les non-blancs et les stigmatisations qui leurs sont liées pour les inclure dans cette neutralité.

 

Sauf que le seul bénéficiaire de ce colorblind est celui qui a le privilège de le pratiquer. J’existe, je subis des discriminations liées au fait que je sois une femme noire mais, par confort, il choisit d’ignorer ma couleur de peau et de ne pas entendre mon expérience. Je ne bénéficierai jamais de cet effacement qu’il m’appose, ni de la neutralité dont il bénéficie en tant que personne blanche. En somme, je ne bénéficierai jamais du privilège blanc mais serait toujours l’objet de sa perception :  en choisissant de voir ce qu’il veut bien voir de moi (cf: “Mais toi, c’est différent“), ce ne sera qu’un énième déni de ce que je suis. Le colorblind invisibilise donc l’expérience des non-blancs en faveur de sa bonne conscience.

Donc, pendant que ces personnes choisissent de ne pas voir ma couleur, le racisme et ses institutions, ses entreprises, ses gouvernements, sa police, eux, le font pour eux. Sachant que ceux qui pratiquent le colorblind refusent de voir, ils valident et assurent le racisme en toute impunité (c’est un peu la logique du : “Qui ne dit mot consent”, et bien que certains arriveront ici pour témoigner de leurs bonnes volontés, cela n’empêche pas les faits).

Ainsi, le colorblind poussé à son paroxysme placerait le racisme dans le fait de dénoncer les différences de couleurs de peau, et non plus les inégalités qui en découlent. On est dans l’absurdité suprême, et en même temps, dans un déni protecteur pour le privilégié : ne pas parler de races,  c’est ne pas parler de racisme, et donc ne pas parler du problème social auquel on participe. Il n’y a pas à dire, le racisme a de beaux jours devant lui…

Au “Je ne suis pas que ma couleur”, ceux qui pratiquent le colorblind choisissent d’entendre “je ne suis pas une couleur, allégeant ainsi leur conscience et remplissant leur quotat de tolérance selon leur point de vue et leurs critères(on est dans l’égocentrisme pur et dur, quand même), pour pratiquer un effacement charitable des couleurs de peaux autour d’eux.

Alors je vous le demande : comment accepte-t-on ce que l’on refuse de voir ?

“”Je ne vois pas la race. Je suis une personne bien.”
TRADUCTION :
Je vais utiliser ma place de privilégié pour réfuter et nier les souffrances de ceux qui n’ont pas le privilège blanc, et parallèlement effacer leur histoire personnelle et culturelle”.

Ayanna Witter Johnson + news

Hi everyone !

I discovered Ayanna Witter Johnson thanks to Helkinn, and I never got the occasion to talk about her songs. Her style is jazzy, but I bought her EP Truthfully. I listened to her music sooo many times that I had o buy her EP. And the artist is so nice that she gave me an autograph. So I feel like a 5yrs old girl, haha.

Also, I work hard these days. I have some projects to build up, and I am actively on Twitter – don’t really know how I ended up there, haha. And, because you know me so well, I have another travelling plan ! One clue : it’s in the North. And no, it’s not Sweden or Finland haha. In fact, it will achieve all my nordic tour in Europe !

I will tell you more soon or later.